La modularité et la réversibilité : pourquoi repenser nos habitats ?

Dans le vaste paysage de la transition écologique, l’habitat mérite une attention renouvelée. Au fil des générations, les modes de vie évoluent plus vite que les murs qui nous abritent. Vieillissement de la population, recomposition des familles, essor du télétravail, crise écologique et économique : autant de bouleversements qui conduisent à remettre à plat la conception des logements.

D’après l’Ademe (2023), près de 70 % du parc immobilier en France sera encore constitué de bâtiments existants en 2050. Or, leur rigidité – cloisonnements fixes, usages prédéterminés – entre en décalage avec la diversité des besoins actuels et futurs. C’est là qu’interviennent la modularité et la réversibilité : deux concepts invitant à imaginer des logements aptes à évoluer sans gaspillage ni lourds travaux, pour offrir plus de liberté d’usage, de confort… et d’écologie.

Modularité et réversibilité : définitions et enjeux

Dans l’urbanisme, la modularité désigne la capacité d’un espace à être configuré de diverses façons, selon les besoins du moment ou de l’usager. Cela peut passer par des cloisons amovibles, des solutions de mobilier transformable, voire des structures porteuses positionnées de façon à libérer l’espace intérieur.

La réversibilité, quant à elle, consiste à prévoir dès la conception la possibilité de changer l’affectation du logement (par exemple, transformer un bureau en logement ou vice versa) ou de faire évoluer le nombre de pièces, sans démolition coûteuse ni impact sur la structure porteuse ou les systèmes techniques (CSTB, 2020).

  • Empreinte environnementale réduite : Moins de travaux, moins de déchets de chantier et plus d’opportunités de réutiliser matériaux ou équipements.
  • Adaptation aux parcours de vie : Un projet de famille, une colocation, l’envie de travailler de chez soi… Un logement modulaire évite le “déménagement réflexe” souvent énergivore.
  • Réponse à la raréfaction du foncier : En densifiant intelligemment, on peut répondre à la demande sans artificialiser les sols.

Déjà, à Besançon comme ailleurs, des expériences locales tentent de réconcilier habitat et évolutivité.

L’exemple des habitats modulaires : inspirations françaises et internationales

L’idée n’est pas neuve, mais elle prend un élan inédit. Depuis les années 1970, des architectes comme Renée Gailhoustet ont imaginé des immeubles où chaque appartement pouvait fusionner avec un voisin ou s’agrandir par juxtaposition de modules (voir la cité Spinoza à Ivry-sur-Seine).

Plus récemment, le collectif d’architectes Lacaton & Vassal a démontré, avec la rénovation des logements du Grand Parc à Bordeaux, qu’il était possible de “donner de l’espace sans démolir” : ajout de vérandas, nouveaux espaces libres d’usage, permettant aux habitants d’investir les surfaces suivant leurs besoins sans extension de l’emprise au sol (Le Moniteur, 2017).

  • En Belgique, la ville de Gand expérimente la “maison à cloisons mobiles” : l’intérieur est équipé de panneaux coulissants, divisant ou ouvrant les espaces selon la saison ou le nombre d’occupants (source : Cavity Wall, Université de Gand).
  • Au Danemark, les logements du projet “Resource Rows” (CPH Village) intègrent des composants récupérables et facilement démontables, permettant leur réassemblage ailleurs.
  • En Ile-de-France, l’appel à projet “Réinventer Paris” impose systématiquement de penser la réversibilité : bureaux convertibles en logements ou en espaces communs.

Comment concrètement favoriser la modularité et la réversibilité ?

Penser la structure dès la conception

Ce qui rend un logement évolutif, ce n’est pas le mobilier… mais sa conception même :

  • Structure porteuse périphérique : Placer murs porteurs et points d’appui à la périphérie permet de libérer l’intérieur de toutes contraintes majeures. On parle alors de “plateau libre”.
  • Planchers surdimensionnés : Supporter des changements d’usage (charge, cloisons supplémentaires) au fil des décennies.
  • Gaines techniques accessibles : Réseaux d’eau, d’électricité ou de ventilation facilement modulables, grâce à des faux-plafonds ou des gaines verticales en façade.

Favoriser les solutions réversibles et réparables

  • Cloisons légères et démontables : Simples à monter, abattre ou reconfigurer. Le plâtre sur ossature, le bois, ou les systèmes à rail, restent moins impactants qu’un mur maçonné.
  • Menuiseries et sols réparables : Choisir des matériaux clipsables, faciles à déposer, ou réutilisables ailleurs.
  • Pensée circulaire : Favoriser l’utilisation de modules standardisés ou issus du réemploi (matériaux de déconstruction, mobilier transformable, etc.).

Des solutions s’esquissent également à l’échelle du quartier :

  • Mutualisation des espaces : Espaces partagés (chambres d’amis, ateliers, salles de travail communes) accessibles aux habitants du quartier, réduisant la taille nécessaire des logements privés tout en offrant plus d’usages.
  • Parcours de vie résidentiel : Proposer une offre imbriquée : studios pour étudiants, logements familiaux, appartements seniors modulables, au sein d’une même résidence (voir la “Maison des Babayagas” à Montreuil).

Zoom sur la réglementation : atouts et limites

Même s’il existe des outils réglementaires (ex : réglementation thermique, logements évolutifs dans la loi ELAN), la France reste encore en retrait par rapport aux Pays-Bas ou aux pays nordiques, où des critères de réversibilité sont parfois obligatoires dans les appels d’offres publics. D’après le CSTB, les principaux freins restent :

  • Le surcoût initial (de 5 à 10 % sur le bâti, mais vite amorti sur 30 ans).
  • Le manque de formation des professionnels du bâtiment.
  • La complexité des permis de construire à obtenir pour la réversibilité, notamment face à des règles d’urbanisme rigides.

Cependant, le secteur se mobilise : la SCIC “Habitat Réversible” en Bourgogne teste des modules en ossature bois, posés sur pieux démontables, capables d’être déplacés ou agrandis sans détruire la parcelle (Le Monde, 2022).

Quels bénéfices pour l’écologie et la vie sociale ?

  • Limiter l’artificialisation des sols : Plutôt que de construire toujours plus, ajuster l’offre existante aux nouveaux usages.
  • Sobriété matérielle : Un logement conçu pour durer et s’adapter, c’est autant de transport, de béton, de ressources en moins.
  • Dynamiser la mixité socio-générationnelle : En permettant adaptations sans déménagements, on limite la spéculation et l’exclusion résidentielle.
  • Offrir des réponses locales aux crises : Lors de crises sanitaires ou climatiques, la flexibilité d’un appartement peut par exemple permettre de créer un espace de télétravail, d’isolement, ou un logement provisoire le temps d’une relogement (voir les usages des “Zugang Wohnungen” à Zurich face au Covid-19, Le Temps, 2021).

Quels défis pour la modularité et la réversibilité dans les logements ?

La modularité reste parfois victime d’idées reçues : crainte du “logement impersonnel”, difficulté à s’approprier un espace modulable, ou crainte que la technique vienne primer sur l’humain. Tout est question de dosage. Des enquêtes menées par l’USH (Union sociale pour l’habitat) montrent que 73% des occupants d’immeubles proposant un logement évolutif plébiscitent au final ce confort d’usage, surtout lorsqu’ils sont associés à la conception et peuvent ajuster eux-mêmes leurs aménagements.

Le vrai défi reste d’abord collectif : faire évoluer chaînes de production, politiques publiques, habitudes des artisans et attentes des habitants…

Vers des logements tissés sur-mesure avec les territoires

Habiter un quartier en évolution, comme les Vaites, c’est aussi renouer avec la possibilité de faire de son logement un espace vivant, ouvert, perméable à la nature, à la vie sociale, aux changements familiaux. La modularité n’est plus vue comme un gadget d’architecte, mais comme le fil conducteur d’un habitat vivant, qui s’inscrit dans la durée, l’écosystème du quartier et l’histoire de chacun.

Imaginer (ou réclamer) des logements modulaires, c’est donc agir pour plus d’ancrage local, plus de souplesse, et moins de gâchis. Un horizon écologique… et humain, décidément plus proche qu’il n’y paraît.

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