Matériaux traditionnels : une empreinte carbone qui pèse lourd

Les matériaux dits « traditionnels » — béton, acier, brique — constituent la colonne vertébrale de la plupart des villes françaises. Leur usage remonte aux grandes révolutions industrielles. Solides, constants, mais, souvent, gourmands en ressources et en énergie lors de leur fabrication.

Le béton, géant discret de nos émissions

  • Le béton est le matériau de construction le plus utilisé au monde. À lui seul, le ciment, ingrédient principal du béton, représente environ 7 à 8 % des émissions mondiales de CO₂ (Agence Internationale de l'Énergie).
  • Fabrication énergivore : Produire 1 tonne de ciment émet en moyenne entre 600 et 900 kg de CO₂, principalement à cause de la décarbonatation du calcaire et des températures nécessaires (environ 1450 °C).
  • Transport et extraction : Les carrières de granulats et les trajets d’acheminement sont aussi source d’émissions (environ 10-15 % de l’impact total d’un chantier béton).

Acier : allié fort, mais lourd héritage

  • L’acier, pilier des charpentes et tours d’immeubles, requiert une fusion à plus de 1500 °C. Son empreinte carbone oscille autour de 1,85 tonne de CO₂ par tonne d'acier produite (World Steel Association).
  • Sa fabrication absorbe à elle seule 8 % des émissions industrielles mondiales, soit autant que l'automobile ou l’aviation réunies.
  • Le recyclage réduit les émissions : l’acier recyclé (“acier d’arc électrique”) divise par près de deux (0,9 t CO₂/t) l’empreinte de chaque tonne, mais la demande dépasse les capacités de recyclage.

Brique cuite : solide, mais énergivore selon son origine

  • La brique cuite (terre + cuisson à 900-1100 °C) émet de 200 à 450 kg de CO₂ / tonne (ADEME).
  • La fabrication artisanale locale peut limiter le transport, mais l’énergie reste un enjeu.

Matériaux écologiques : une alternative sérieuse ?

Les matériaux qualifiés d’« écologiques » cherchent à limiter leur impact tout au long de leur cycle de vie : extraction douce, faible transformation, intégration harmonieuse à l’environnement… Mais que donnent ces promesses à l’épreuve des chiffres ?

Bois : stockeur de carbone naturel

  • Le bois, matériau biosourcé, présente une singularité remarquable : il fixe le CO₂. Pour 1m³ de bois d’œuvre, environ 900 à 1000 kg de CO₂ sont « stockés » pour plusieurs décennies (ADEME).
  • Son impact carbone de fabrication est estimé à 50-80 kg de CO₂ / tonne, soit environ 12 fois moins que le béton et 30 fois moins que l’acier.
  • Cela dépend évidemment de la gestion forestière, du transport, des traitements et du circuit (bois local vs importé).
  • Ancrage local : En Franche-Comté, les scieries de proximité limitent encore l’empreinte liée au transport.

Terre crue : construire avec la mémoire du sol

  • Utilisée depuis des millénaires, la terre crue revient dans le paysage architectural français (Terre & Cuite).
  • Son impact carbone est extrêmement faible : 5 à 30 kg de CO₂ / tonne, essentiellement liés au terrassement et au transport.
  • La restauration de bâtiments patrimoniaux, comme à Bourgogne ou dans le sud-ouest, prouve sa longévité.

Paille et chanvre : isolation et légèreté

  • La botte de paille utilisée en isolation. Son cycle rapide (une année de culture) et sa transformation minimaliste permettent une empreinte quasi nulle, autour de 10 à 20 kg de CO₂ / tonne.
  • Le chanvre, localement cultivé dans certaines régions françaises, sert à produire béton de chanvre et isolants, avec un bilan carbone négatif (HempConsult).
  • En 2023, l’ADEME estimait la capacité de stockage du béton de chanvre à 165 kg de CO₂ par m³ de matériau posé.

Le poids caché : cycle de vie, usage, réemploi

Comparer les matériaux, c’est dépasser la case « extraction-fabrication » : il faut aussi considérer leur transport, leur durée de vie, l’entretien, et enfin, leur “fin” — réemploi, recyclage ou démolition.

Le béton, entre longévité et défi du recyclage

  • Un bâtiment en béton vit en moyenne 50 à 100 ans en France ; ensuite, les gravats sont peu réemployés (environ 20 % seulement servent de recyclat — Union Matériaux).
  • Fabriquer du béton « bas carbone » (injection de laitier, recyclage, ciments alternatifs) permet d’abaisser l’empreinte de 30 à 50 %, mais reste marginal (Cemex).

Bois : potentiel de réutilisation

  • Le bois d’œuvre peut fréquemment être démonté, raboté, reconditionné pour une seconde, voire une troisième vie, ce qui prolonge le stockage de CO₂.
  • Les filières de valorisation du bois sont bien installées, en particulier en Scandinave et au Canada ; la France accélère mais reste à la traîne.

Terre crue et biosourcés : retour naturel au sol

  • En fin de cycle, la terre crue peut être purement remise en sol, sans pollution ni déchet : son « recyclage » est total.
  • La paille et le chanvre peuvent être compostés, restituant leur carbone au sol ou en matière organique utile.

Des chiffres parlants : comparer pour mieux choisir

Matériau Émissions CO₂ (kg/tonne) Capacité de stockage CO₂ Durée de vie
Béton (ciment) 600-900 Négligeable 50-100 ans
Acier 1 850 Négligeable 50-100 ans
Brique cuite 200-450 Négligeable 50-100 ans
Bois 50-80 900-1000 kg/m³ (stockage) 50-100 ans
Terre crue 5-30 Négligeable >100 ans
Paille 10-20 100-150 kg/m³ (stockage) 50-70 ans
Chanvre béton 10-30 165 kg/m³ (stockage) 50-70 ans

Sources : ADEME, IEA, World Steel Association, HempConsult, Union Matériaux, Cemex, Terre & Cuite.

Des freins locaux, mais un paysage en plein mouvement

Adopter massivement des matériaux écologiques se heurte encore à des freins :

  1. Normes et assurance : les bureaux d’études se forment encore à la construction terre ou paille, les réglementations évoluent lentement (RE2020 commence à intégrer ces matériaux).
  2. Filières courtes encore rares : la disponibilité locale de la paille ou du chanvre peut être limitée selon les régions.
  3. Coût au m² : parfois supérieur pour les matériaux écologiques, même si l’écart tend à se réduire sous l’effet de la demande.
  4. Formations des artisans : savoir bâtir en botte de paille ou enduit terre ne s’improvise pas, mais de nombreuses initiatives se multiplient (réseau Les Compaillons, écoles spécialisées).

Pourtant, les innovations foisonnent : ici, de nouveaux chantiers mêlant bois et béton bas-carbone ; là, des résidences en ossature bois croisant les apports de la paille issue de céréales locales. Plusieurs projets exemplaires voient le jour en Franche-Comté, comme le village ZAC des Vaites, où des groupes de citoyens militent pour des matériaux sobres à chaque étape du projet.

Et demain ? Réduire, réemployer, relocaliser

Construire autrement passe d’abord par réduire – bâtir mieux, moins, en pensant la ville et ses besoins autrement. Cela suppose une vision collective et locale : privilégier les circuits courts, former les mains, convaincre les décideurs. L’empreinte carbone d’un matériau n’est pas qu’un chiffre soluble dans un bilan : elle s’incarne dans un territoire, dans la main du scieur, dans la terre brune réemployée d’un chantier à l’autre.

Aux Vaites, comme ailleurs, le matériau n’est pas un détail invisible : il incarne le visage de la ville slow qu’on rêve. Face à l’urgence, chaque construction s’invite à peser, disséquer, imaginer. Car choisir entre béton d’hier et fibre végétale de demain n’est plus anecdotique : c’est refonder le lien entre bâtir et habiter le monde.

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