Une nouvelle façon de (re)faire le monde, brique par brique

Quand on lève les yeux en ville, du pavillon centenaire à la résidence neuve, combien de murs sont-ils faits de nature ? Longtemps, la pierre, la terre, le chanvre ou le bois ont façonné nos murs et nos toits. Aujourd’hui, à l’heure des crises climatiques et de l’appétit accru pour le béton, un vent de renouveau souffle : celui des matériaux biosourcés.

Ce mot encore trop peu familier désigne des matériaux issus de la biomasse végétale ou animale (bois, chanvre, paille, laine de mouton…), utilisés pour bâtir ou isoler nos habitats. Leur retour est tout sauf nostalgique. Il ressemble à une promesse : celle de réconcilier nos maisons avec les cycles du vivant.

Matériaux biosourcés : définition et familles

Petit tour d’horizon de ces matériaux qui poussent, respirent, stockent du carbone.

  • Le bois : utilisé en charpente, ossature, panneaux, revêtements.
  • Le chanvre : en chènevotte (pour les blocs ou bétons), en fibre (panneaux d’isolation), aujourd’hui massivement cultivé en France (plus de 20 000 ha selon FranceAgriMer, 2023).
  • La paille : pour des murs porteurs ou comme isolant, 500 bâtiments publics utilisant la paille construits depuis 2012, d’après le RFCP.
  • La terre crue : matériau traditionnel revenu à la mode, utilisée en pisé ou briques, valorisée notamment dans les constructions en Alsace ou en Occitanie (sources : Cycle Terre, RFCP).
  • La laine de mouton, de coton, ou de lin : utilisées en isolation, parfois intégrées dans des complexes avec résine naturelle.
  • Les fibres végétales : miscanthus, ouate de cellulose (issue du recyclage du papier), textile recyclé, etc.

Tous se distinguent par leur renouvelabilité : ils sont issus du monde vivant, se régénèrent plus vite que les matières premières minérales (sable, gypse), et nécessitent parfois peu de transformation.

Le vrai impact du bâtiment sur l’environnement

Impossible de parler de construction durable sans rappeler le poids du secteur du bâtiment : près de 44 % de la consommation d’énergie en France, 23 % des émissions de gaz à effet de serre, 227 millions de tonnes de déchets chaque année (source : ministère de la Transition écologique, chiffres clés bâtiment durable 2023).

La majeure partie du problème vient des matériaux conventionnels :

  • Béton/mortier : le ciment — ingrédient du béton le plus courant — génère 1 tonne de CO2 pour 1 tonne produite (source : Chiffres GIEC, 2023).
  • Acier : 8 % des émissions mondiales de CO2 selon la World Steel Association (2022).
  • Laine minérale, polystyrène, PVC : matériaux peu recyclables, énergivores à fabriquer, problématiques en fin de vie.

Face à ces constats, les matériaux biosourcés interrogent : peut-on réellement bâtir bas-carbone, en contribuant au stockage du carbone au lieu de l’émettre ?

Quand la construction stocke le carbone

La magie des matériaux biosourcés, c’est leur capacité à "aspirer" le carbone atmosphérique le temps de leur croissance, puis à le stocker dans les murs ou toitures, retardant ainsi sa restitution à l’atmosphère.

  • Une tonne de bois d’œuvre, tout au long de sa vie, séquestre près de 1,8 tonne de CO2 (source : FCBA, 2022).
  • Un bâtiment construit en paille de 100 m² peut contenir jusqu’à 12 tonnes de CO2 stockées grâce à l’isolation, selon l’association "Construire en paille".

C’est d’ailleurs ce principe qui pousse la RE2020, nouvelle réglementation environnementale du bâtiment en France, à valoriser le recours à ces matériaux (sources : Ministère de la Transition écologique, ADEME).

Bienfaits multiples : au-delà du carbone

Adopter les matériaux biosourcés transforme bien plus que le bilan carbone d’un habitat.

Un confort de vie tangible

  • Isolation thermique : la ouate de cellulose isole aussi bien (voire mieux) que le polystyrène (λ = 0,039 - 0,042 W/m.K d’après CSTB, 2023).
  • Régulation hydrique : le chanvre et la terre crue régulent l’humidité, assainissant l’air intérieur (sources : INRAE, Cycle Terre).
  • Inertie et confort acoustique : la paille, le bois ou la ouate de cellulose amortissent les bruits, et stabilisent la température intérieure.

Moins de déchets, plus de circularité

  • En fin de vie, beaucoup de matériaux biosourcés sont recyclables, compostables ou réutilisables : le bois se transforme en panneaux, la paille retourne au sol.
  • Ils génèrent moins de déchets toxiques, notamment comparés à l’amiante, au PVC ou aux mousses synthétiques, difficiles à déconstruire.

Favoriser des filières locales et résilientes

  • Chanvre et paille produits en France : la France est le premier producteur européen de chanvre (plus de 150 000 tonnes/an, source : InterChanvre, 2023), ce qui réduit les transports et soutient l’économie régionale.
  • Bois : utilisé en filières courtes, il valorise la forêt locale, contribue à la gestion durable des espaces naturels (>30 % du territoire national en forêt, source : IGN).
  • Terre et matériaux issus de la déconstruction : ils limitent l’extraction, s’ancrent dans une démarche d’économie circulaire (projets comme Cycle Terre en Île-de-France).

Des freins à lever… mais la dynamique est là

Les chantiers biosourcés ne relèvent plus de la seule utopie. Les chiffres sont là : 12 % des logements neufs incorporent déjà des matériaux biosourcés (source : Observatoire national des matériaux biosourcés, 2022) et la dynamique s’accélère.

Quelques défis demeurent :

  • Formation des pros : Ces savoir-faire s’étaient perdus ; ils reviennent, mais tous les artisans ne sont pas formés.
  • Filières à structurer : Tous les territoires n’ont pas accès à la matière première ou aux ateliers de transformation proches.
  • Coûts : Les matériaux biosourcés restent parfois plus chers à l’achat mais leur coût global peut être moindre si l’on compte la longévité, le confort, la réparabilité.
  • Stéréotypes : L’idée d’une "maison de paille" moins solide persiste… alors qu’il existe des immeubles de 4 étages en France utilisant ces techniques, validées par des bureaux de contrôle (source : RFCP).

Des exemples concrets, d’ici et d’ailleurs

  • La Fabrique du Sud à Montpellier : 6 700 m² de bureaux et ateliers, 1 600 m³ de bois local, 1 200 tonnes de CO2 évitées (France Bois Forêt, 2022).
  • "Cycle Terre" à Sevran : une usine de terre crue valorisant des déblais de chantier, pour bâtir logis et écoles à partir de 2021 (Le Monde, 2021).
  • L’école primaire de Beaucouzé (Maine-et-Loire) : ossature bois, murs en paille, labellisée BEPOS, 90 % des matériaux sourcés à moins de 50 km.
  • Maison de paille Jean-Louis Dufour aux Vaites : auto-construction, 140 m², isolation paille, consommation annuelle inférieure à 10 kWh/m² pour le chauffage (témoignage RFCP, 2022).

Un paysage en mutation : la force de l’exemple local

Face aux enjeux environnementaux qui nous paraissent parfois lointains ou abstraits, bâtir en biosourcé pose la question : comment notre habitat peut-il refléter notre territoire ? Chaque projet, chaque filière relocalisée devient un geste pour retrouver un sol, un climat, une région.

  • En Bourgogne-Franche-Comté, le programme "Bois local et Chanvre" finance l’émergence de micro-filières. De petites scieries ou ateliers, comme ceux du Doubs, innovent, créent de l’emploi, et offrent un ancrage territorial fort.
  • Les chantiers participatifs, très présents dans l’écoconstruction, favorisent la transmission et recréent de la solidarité entre habitants.

D’ici, demain : vers un rapport renouvelé au bâti

Choisir le biosourcé, c’est (re)prendre le temps : celui d’observer une forêt qui pousse, une récolte de chanvre, un mur qui respire avec les saisons. Ce retour au vivant dans la matière même de nos habitats invite à penser autrement la durabilité : moins comme une performance technologique, plus comme une aventure collective, faite d’expérimentations, d’erreurs parfois, et d’adaptations.

Sur ce chemin, ni dogmes ni recettes miracles. Mais une certitude : la transition écologique du bâtiment s’invente aussi dans les champs, les ateliers de menuiserie, les fermes de nos environs.

Demain, à chaque mètre carré construit en biosourcé, c’est un peu de cette symbiose retrouvée qui réhabite la ville et la campagne.

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