Entrer dans l’habitat comme on entre en forêt

Il suffit parfois de lever les yeux, en se promenant autour de la Ceinture Verte des Vaites, pour surprendre la diversité d’un quartier en pleine évolution. Sur fond de discussions passionnées autour de son aménagement et de la préservation de ses espaces naturels, une autre question se faufile : comment bâtir des logements qui s’accordent – dans la matière même de leurs murs – à l’idée de transition écologique ? Les matériaux biosourcés, issus directement ou indirectement du vivant (bois, paille, chanvre, laine de mouton…), s’imposent doucement comme des vecteurs de ce changement. Quelle place occupent-ils réellement aujourd’hui – et pourraient-ils prendre demain – dans les logements des Vaites ?

Que sont ces fameux matériaux biosourcés ?

Le terme « biosourcé » connaît un certain succès ces dernières années, mais sa définition précise mérite d’être rappelée. Sont considérés comme biosourcés les matériaux dont la matière première provient de la biomasse, c’est-à-dire des végétaux, animaux ou micro-organismes. Contrairement aux matériaux conventionnels (béton, acier, PVC…), ceux-ci s’ancrent dans des cycles naturels et renouvelables (ADEME).

  • Bois : charpentes, ossature des maisons, bardages, menuiseries…
  • Paille : isolation des murs (avec la construction paille), enduits mélangés à la terre…
  • Chanvre : l’une des plus anciennes fibres textiles, utilisé en béton de chanvre pour l’isolation et la régulation hygrométrique.
  • Ouate de cellulose : issue du recyclage du papier, excellent isolant thermique et acoustique.
  • Laine de bois ou de mouton : isolants naturels et respirants.
  • Brique de terre crue : technique ancienne revenue sur le devant de la scène pour ses propriétés de régulation thermique.

La France s’est fixé un seuil minimum d’incorporation de matériaux biosourcés dans la construction neuve dans le cadre de la RE2020 (Réglementation Environnementale entrée en vigueur en 2022). Ce seuil varie selon les types de bâtiments et laisse de la place à l’innovation locale.

Les Vaites, laboratoire (discret) de biosourcé ?

Le quartier des Vaites n’est pas une simple extension urbaine de Besançon. Il a longtemps été l’objet d’affects contradictoires – « poumon vert » pour les uns, « réserve foncière » pour les autres. Mais à l’heure où la densification urbaine doit marier qualité de vie, réduction de l’empreinte carbone et préservation de la biodiversité, les nouveaux logements du secteur pourraient devenir la vitrine locale des matériaux issus du vivant.

Déjà, le Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUi) de Grand Besançon Métropole intègre, dans certaines zones, des incitations à employer des modes constructifs écologiques – sans pour autant imposer un quota strict (source : Grand Besançon Métropole).

  • Quelques maisons individuelles récentes font la part belle au bois local (sapin, épicéa, douglas du Jura), utilisées aussi bien en structure qu’en façade.
  • Une poignée de projets expérimentaux, portés notamment par des particuliers ou des associations, intègrent bottes de paille, enduits terre-paille (par exemple pour des extensions ou annexes).
  • Le béton de chanvre — isolant phare en auto-construction écologique — reste rare, malgré la proximité géographique de producteurs de chanvre en Bourgogne-Franche-Comté.

Au-delà du visible, il existe une dynamique souterraine : ateliers participatifs, visites de chantiers biosourcés dans la région, mises en réseau entre artisans et futurs habitants… Autant de signaux faibles qui révèlent une appétence à « construire autrement ».

Quels bénéfices dans l’habitat… et au-delà ?

Si les arguments en faveur des matériaux biosourcés sont nombreux, il est important d’en préciser la portée à l’échelle d’un quartier comme les Vaites. Ils dépassent en effet le simple « greenwashing » – et s’incarnent dans des bénéfices tangibles pour le confort, la santé et le climat.

  • Performance thermique : la paille, le chanvre ou la ouate de cellulose affichent des coefficients de conductivité thermique très faibles (0,039 à 0,045 W/m.K pour la paille, Compaillons), assurant une isolation intérieure et estivale remarquable.
  • Régulation hygrométrique : ces matériaux « respirent ». Contrairement à la laine de verre ou au polystyrène, ils gèrent naturellement les échanges d’humidité, réduisant ainsi les risques de moisissures.
  • Impact carbone : le bois ou la paille, durant leur croissance, absorbent et stockent du CO₂. Le bois structurel stocke, en moyenne, 1 tonne de CO₂ par m.
  • Santé et qualité de l’air : l’absence de substances chimiques volatiles et une très faible émissivité de composés organiques volatils (COV) – problématique rencontrée avec certains isolants synthétiques.
  • Création locale de valeur : recourir aux biosourcés, c’est actionner toute une filière régionale : forêts, producteurs agricoles, scieries, artisans, formateurs, etc.

Un bâtiment exemplaire, à quelques kilomètres de là, illustre cette logique : la nouvelle école de Chalezeule (2022), conçue en bois – majoritairement local – et complétée par des isolants biosourcés, démontre que le collectif prime lorsqu’on mise sur une filière de proximité (Le Moniteur).

Obstacles : inerties, surcoûts réels ou perçus, réglementation

Si les matériaux biosourcés progressent, leur diffusion reste encore en deçà des ambitions affichées. Dans les Vaites, comme partout en France, trois freins principaux sont souvent évoqués :

  1. Le coût d’investissement initial : globalement, le biosourcé – notamment lorsqu’il est mis en œuvre avec soin – reste plus cher à l’achat qu’un isolant minéral conventionnel (jusqu’à +20 % selon l’ADEME). Mais, sur la durée de vie du bâti (isolation, santé, entretien), le coût global peut se révéler compétitif.
  2. L’inertie des filières du bâtiment : la plupart des promoteurs préfèrent encore miser sur le « connu ». Il manque parfois des artisans correctement formés, ou des assurances décennales spécifiques pour certains procédés (notamment la construction paille).
  3. La réglementation et les normes techniques : la RE2020 encourage certes à « faire biosourcé », mais pose aussi des exigences lourdes en matière d’étanchéité, de résistance au feu, etc. Les techniques évoluent cependant vite : la construction bois représente désormais 12 % des logements neufs en France en 2021 (France Bois Forêt), contre 8,5 % en 2016.

Les pistes d’accélération à l’échelle du quartier

Aux Vaites, l’histoire des mobilisations et des débats sur l’avenir du quartier donne une occasion précieuse : celle de réinventer l’habitat en plaçant le biosourcé au cœur des choix collectifs. Plusieurs leviers se dessinent :

  • Appels à projets publics intégrant un « bonus biosourcé » : certains territoires voisins, comme la métropole de Bordeaux, réservent des lots constructibles aux porteurs de projets engagés (présence de matériaux biosourcés, commission citoyenne d’attribution…)
  • Soutien aux micro-filières locales : la Franche-Comté recèle de petites scieries et producteurs de chanvre ou de paille. Leur structuration, couplée à des groupements d’achats, réduirait les coûts logistiques.
  • Pédagogie, chantiers participatifs, visites ouvertes : vulgariser, expliquer, montrer que « ça marche en vrai » reste le meilleur vecteur pour dépasser la défiance initiale.
  • Incitation à la rénovation biosourcée : le gros des consommations énergétiques vient souvent du bâti ancien. Des dispositifs régionaux (ex : le « Pass Rénovation » de Bourgogne-Franche-Comté) encouragent depuis 2023 la substitution d’isolants synthétiques par des matériaux biosourcés lors de rénovations (source).

Vers un paysage habité, porteur de continuités écologiques

La question de la place des matériaux biosourcés dans les logements des Vaites n’est pas qu’une affaire de technique ou de chiffres carbone. Elle raconte une façon d’habiter autrement : continuer à sentir la forêt dans les murs, le champ dans l’isolation, la paille dans les cloisons… C’est par de multiples petits pas, tentatives individuelles et coups d’audace collectifs, que le village urbain des Vaites peut devenir pionnier en matière d’écologie ancrée. Les biosourcés, loin d’être une solution miracle, sont un fil vivant : il relie le béton des rues neuves, les forêts du Haut-Doubs, les artisans du coin – et, peut-être, l’espoir de renouer une alliance durable entre habitat et territoire.

Des matériaux du vivant pour révéler la vie du quartier : la place des biosourcés aux Vaites, aujourd’hui modeste, pourrait se dilater à mesure que grandissent les envies d’un habitat doux, poreux et solidement enraciné dans sa terre.

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