L’esprit bioclimatique, ou l’art d’habiter autrement

Marcher dans le quartier des Vaites, c’est croiser des bâtiments anciens qui gardent la fraîcheur en été, des maisons blotties sous de grands arbres, ou ces résidences contemporaines bardées d’ombrières et de panneaux solaires. À première vue, ces choix relèvent du bon sens ou du style, mais derrière chaque détail, il y a toute une philosophie : celle de la conception bioclimatique.

Loin d’être une simple tendance, la conception bioclimatique s’enracine dans la compréhension fine de notre environnement local, du climat, du mouvement du soleil aux vents dominants, en passant par les variations de températures ou l’alternance des saisons. C’est une approche ancienne, héritée des bâtisseurs méditerranéens ou des maisons montagnardes, aujourd’hui revisitée par l’architecture contemporaine sous l’urgence écologique.

Définition et piliers de la conception bioclimatique

La conception bioclimatique d’un bâtiment consiste à exploiter au mieux les conditions naturelles pour garantir le confort thermique, tout en minimisant les besoins techniques (chauffage, climatisation, ventilation artificielle…). L’objectif : que la construction dialogue avec le climat, au lieu de s’y opposer.

  • Orientation : positionner les pièces à vivre au sud/ sud-est pour bénéficier de l’apport solaire en hiver, et limiter l’exposition ouest/ nord à des espaces tampons (garage, cellier…)
  • Isolation : privilégier des matériaux qui gardent la chaleur en hiver, la fraîcheur en été, tout en permettant à la maison de « respirer »
  • Inertie thermique : utiliser la masse (briques, béton, terre crue...) pour emmagasiner de la chaleur la journée et la restituer la nuit
  • Ouvertures et protections : adapter la taille, la disposition et l’équipement des fenêtres (casquettes, brise-soleil, volets), pour favoriser les apports gratuits et protéger des fortes chaleurs
  • Végétalisation : jardins d’ombrage, toitures végétalisées, haies brise-vent, arbres caducs (qui perdent leurs feuilles l’hiver) pour ombrer l’été, laisser le soleil entrer l’hiver

Climat, soleil et vents : la nature comme première “machine”

Chaque lieu impose ses règles. À Besançon, la saisonnalité, les vents de plaine, l’humidité et l’ensoleillement sont autant de paramètres que les concepteurs bioclimatiques observent avec précision.

  • À latitude moyenne (comme en Franche-Comté), le soleil hiver est bas sur l’horizon : une façade sud bien dessinée permettra à la lumière de pénétrer profondément, réchauffant naturellement la maison.
  • L’été, au contraire, le soleil est haut : un simple auvent de 70 à 80 cm au-dessus d’une baie vitrée suffit souvent à bloquer les rayons directs, selon l’Ademe (Ademe, 2018).
  • Des statistiques de Météo France montrent que, dans le Doubs, la température intérieure peut grimper de 6°C de plus dans une pièce exposée sud-ouest non protégée par rapport à une pièce bien pensée, en pleine vague de chaleur.

Ventiler, chauffer, rafraîchir : des techniques qui font la différence

La bioclimatique privilégie la « ventilation naturelle traversante » : placer des fenêtres ou ouvertures de part et d’autre de la maison pour renouveler l’air sans consommer d’énergie. En ajoutant un puits canadien (une gaine enterrée qui préchauffe ou rafraîchit l’air entrant grâce à la température stable du sol), on peut abaisser la température intérieure de 5°C en été, selon l’Agence Qualité Construction.

Une autre astuce est l’usage des « murs trombe » : un mur sombre derrière une vitre côté sud, capte la chaleur solaire, la restitue lentement dans la nuit. Ce système inventé dans les années 1960 retrouve aujourd’hui un regain d’intérêt, notamment dans les rénovations (source : Batirama).

La conception bioclimatique n’exclut pas la technologie, mais invite à la sobriété : favoriser l’apport naturel, puis compléter au besoin par des solutions efficaces (pompes à chaleur, VMC double flux…).

L’exemple local : comment le quartier des Vaites adopte le bioclimatique

Dans le nord-est de Besançon, plusieurs logements récents du quartier des Vaites affichent un DPE (diagnostic de performance énergétique) classé A — une rareté encore en France, puisque seulement 3% du parc immobilier est dans cette catégorie (source : Le Monde, 2022). Derrière ces chiffres, des choix précis :

  • Grandes surfaces vitrées orientées sud protégées par des brise-soleil horizontaux
  • Isolation des murs en laine de bois (lambda 0,038 W/mK, soit 20% plus performant que le standard laine minérale)
  • Toitures végétalisées sur les immeubles collectifs, qui limitent les îlots de chaleur urbains et retiennent 50 à 80% des eaux de pluie en saison, selon l’association Plante & Cité

Une anecdote locale : lors de la canicule de 2022, les jardins partagés des Vaites installés côté nord des résidences sont restés praticables à toute heure, alors que ceux situés à découvert ou sur béton accusaient 8°C de plus au thermomètre, relevé à la même heure.

Des bénéfices écologiques et économiques concrets

  • Réduction des consommations : Une maison bioclimatique consomme en moyenne 50% moins d’énergie de chauffage qu’un bâtiment classique RT2005 (FAIRE-GOUV), et jusqu’à 80% en version passive.
  • Risque climatique limité : En 2050, MétéoFrance prévoit +1,6°C à +2,5°C moyens en Bourgogne-Franche-Comté l’été. Les bâtiments aux performances bioclimatiques seront moins vulnérables aux pics de chaleur et de froid.
  • Valorisation patrimoniale : L’investissement initial (parfois supérieur de 5 à 10% à un projet conventionnel) est compensé en quelques années par des factures allégées — l’ADEME estime un retour sur investissement de moins de 10 ans en rénovation lourde.
  • Meilleure santé et qualité de vie : Températures plus stables, air souvent plus sain, lumière naturelle abondante… Ces facteurs réduisent les pathologies respiratoires et améliorent le moral, selon l’INSERM (2023).

Quels matériaux pour quel climat ? La juste alchimie

  • Brique monomur et béton de chanvre : utilisés dans l’Est pour leur fort pouvoir d’inertie, ils évitent la surchauffe estivale. Le béton de chanvre (chanvre local parfois issu de la Haute-Saône) séquestre du CO₂ tout au long de sa vie.
  • Bois massif local : de plus en plus mis en avant à Besançon et ses environs (scierie de Mamirolle, filière du Doubs), il offre une excellente isolation et réduit l’empreinte carbone du chantier.
  • Terre crue : redécouverte à travers la valorisation de la “bauge” ou du pisé, elle « tempère » l’ambiance des logements et assure des constructions saines.

Au-delà des matériaux, c’est leur association et leur adaptation qui font la réussite des bâtiments : l’épaisseur des murs, la couleur des façades, le choix des vitrages, chaque détail compte pour affiner la “réponse thermique” du bâtiment au fil des saisons.

Des idées et techniques qui se déclinent pour les collectifs… et le quotidien

Si la conception bioclimatique est associée aux maisons individuelles, elle a gagné les bâtiments d’habitat collectif, les écoles et même les commerces. De nombreux hôtels ou gîtes locaux arborent aujourd’hui toitures végétalisées, puits canadiens et orientations réfléchies.

  • Dans le neuf : Ateliers d’urbanisme et promoteurs planchent sur l’intégration de cœurs d’îlots plantés, le redécoupage des parcelles selon l’ensoleillement, les toitures partagées.
  • En rénovation : Les particuliers peuvent, à leur échelle, pratiquer la ventilation nocturne, installer des brise-soleil amovibles, végétaliser balcons et terrasses. Un simple rideau épais doublé d’une couleur claire côté rue permet déjà de gagner quelques degrés en cas de canicule, d’après l’Agence Parisienne du Climat.

Pour une architecture pleinement ancrée dans la nature

La conception bioclimatique, ce n’est ni une contrainte, ni une mode : c’est une conversation permanente entre l’humain, l’architecture et le climat. À l’heure des transitions nécessaires, cette approche réactualise un savoir-faire populaire et invite à une nouvelle esthétique : celle de la simplicité, du respect du vivant et de la créativité adaptée aux solutions locales.

Penser bioclimatique, c’est redécouvrir une manière d’habiter le territoire en harmonie avec ses rythmes et ses potentiels. Les initiatives déjà engagées dans le quartier des Vaites — et ailleurs à Besançon — prouvent que ces principes sont accessibles, concrets, et qu’ils préparent dès aujourd’hui des lieux de vie résilients, confortables et inspirants.

  • Sources consultées : ADEME, FAIRE-GOUV, Météo France, INSERM, Batirama, Plante & Cité, Le Monde.

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